Photo: Julie Boulé
Avertissement - Ce texte a été produit au début des années 90 lors d’un atelier d’écriture de 90 minutes et n’a pas été retouché depuis; il a été tapé tel qu’il a été écrit, ce qui explique que parfois, on a affaire à ce qu’on appelle un « narrateur omniscient » et parfois il semble que c’est un personnage qui parle. Ce sont des choses qui sont évidemment corrigées, en temps normal, dans le cadre d’un texte destiné à la publication.
Notez également que, tel que mentionné sur la page d’accueil des anciens textes, il est important de se rappeler qu’aucune recherche préalable n’a été effectuée en prévision de cette rédaction, ce qui explique les inexactitudes historiques et géographiques qu’on peut y retrouver. Néanmoins, je crois qu’il permet de créer une bonne ambiance, qui vous fera passer un bon moment.
Le navire
D’un même élan, tous tombèrent à la renverse, afin de pénétrer le royaume de Neptune. Les ombres s’estompant, seules subsistèrent quelques bulles à la surface de l’eau, pour témoigner de la présence des plongeurs, qui étaient à des lieues de se douter que bientôt, ce bouillon serait formé par leur dernier souffle.
Peu profonde, mais dotée d’une végétation particulièrement dense, cette région du Pacifique cache encore de nombreux trésors.
Tout d’abord, on croit que ce trésor, ce sont les nombreuses espèces marines rares, animales et végétales, qu’on y découvre; mais lorsqu’on se fraie un passage dans cette jungle sous-marine, et qu’on porte attention aux surfaces sur lesquelles sont accrochées les plantes, on se rend compte que le sol est tapissé d’épaves gercées par le temps, lentement digérées par la mer qui les a avalées.
C’est bien la huitième fois qu’ils explorent le site, allant de surprise en surprise à chaque fois. Ils ont appris que chaque épave ne révèle jamais tous ses secrets du premier coup, à la première visite. On dirait même que les épaves cachent de leur propre initiative certains détails d’importance puis se décident à les révéler en des temps inspirés uniquement par leur bon plaisir.
C’est ce qui semble s’être produit aujourd’hui : bien que les hommes du Sherlock, navire de recherche archéolocéanique de la Grande-Bretagne, aient passé au peigne fin et, méthode plus moderne, aux rayons X, le Sea Thorn, navire pirate dont l’histoire est retracée dans quelques ouvrages du 16e siècle, ils n’avaient jamais aperçu cette trappe, située dans un endroit pour le moins inattendu sous le château arrière. D’une première réflexion, peut-être - probablement - s’agissait-il d’une sortie de secours aménagée à l’intention du capitaine portugais, Romero di Maravel, car encavés dans le château, sous la trappe, subsistent les traces d’attaches qui devaient retenir un canot bien caché sous les prolongements des quartiers du capitaine, constituant ainsi ce qu’on pourrait nommer un faux château.
Cette découverte a son importance, en plus de la révélation de cette ingénieuse technique, car le navire a coulé pont devant, n’exhibant que sa coque, empêchant de pénétrer à l’intérieur. Canons arrimés d’une façon inconnue à la structure du bâtiment, il était impossible d’entrer par les trappes latérales.
Enfin, le Sea Thorn nous révélera peut-être un peu plus de ses secrets.
La trappe se laissa ouvrir sans difficulté, le loquet de sûreté ayant été enlevé. Ceci, en plus de l’absence du canot de sauvetage, suffit pour nous confirmer que la trappe avait bien été utilisée, tel qu’on peut le déduire du récit du dernier combat du Sea Thorn contre un vaisseau de l’armée espagnole, le Santa Melina.
En effet, tout l’équipage du navire pirate fut tué, sauf le capitaine di Maravel qui ne fut jamais retrouvé. La découverte de cette trappe trouve donc ici un intérêt historique de premier ordre. De plus, la rumeur de la fuite du capitaine confirmée, la porte s’ouvre maintenant sur une autre rumeur qui veut qu’il ait gagné les côtes de l’Afrique et soit allé mourir en Égypte.
En se fiant au récit, peut-être pourrions-nous même découvrir le lieu de son inhumation. Déterrer en Égypte le « Diable du Pacifique», le plus renommé et redouté de tous les pirates, le capitaine Romero di Maravel! Ensuite nous pourrions, photos à l’appui, refaire sa biographie et retracer ses descendants, s’il en a. Sans compter tout ce qu’on découvrira dans ses quartiers du château arrière. Puis on ouvrira un musée, où l’on reconstituera le Sea Thorn. Peut-être même fera-t-on un film?
Les plongeurs, animés de mille et un fantasmes, pénétrèrent dans le navire. Les puissantes torches révélèrent, dans un impressionnant spectacle, toute la finesse architecturale, toute la beauté de ce château arrière, qui est tel que décrit par les ouvrages de l’époque. Tous les cœurs vibrent, les hommes grenouille ont l’impression d’entrer dans le décor d’une superproduction hollywoodienne : tout est parfait dans la désolation du lieu. Tout est parfait et respecte les règles de l’art. Même le nombre d’or est respecté. Car il y a de belles et de moins belles destructions, et ici, tout semble avoir été déposé avec art. Un naufrage artistique.
Chaque objet déplacé constituerait un sacrilège. Des bouteilles de rhum, des vases et des pièces de vêtements reposant sur le plafond, une patère fixée au plancher, au-dessus de nos têtes. Des dizaines et des dizaines de flashes éclairent par secousses, produisant autant de photos, prises par des mains fébriles.
Subjugués, les plongeurs commencent à manquer d’air, sans même s’en rendre compte. Tranquillement, l’euphorie, puis la folie les rejoignent. Aucun d’eux n’a paniqué au dernier souffle. Le film de leur vie fut de courte durée.
Les instants qu’ils venaient de vivre avaient pris toute la place.